Entre coercition et nouvelles offres, les acteurs du tourisme cherchent le bon équilibre. Les nouvelles technologies viennent en renfort pour gérer les flux.
Par Paul Molga
Publié le 14 juin 2023 à 15:51 Mis à jour le 14 juin 2023 à 16:28
Les habitants de Saint-Guilhem-le-Désert, dans l’Hérault, retrouvent peu à peu le calme. Depuis un an, la cascade de l’Eventail, qui attirait dans leur village des milliers d’instagrameurs, est purement interdite d’accès. Et gare aux récalcitrants : l’été dernier, des centaines de contraventions ont été dressées pour stationnement gênant le long de la route proche, et plusieurs flagrants délits de baignade sauvage ont aussi coûté aussi cher à leurs auteurs qu’une semaine sous les tropiques.
Cette commune des gorges de l’Hérault est la première en France à s’appuyer sur le nouvel article L360-1 du code de l’Environnement, voté en 2021, pour endiguer les dérives de la surfréquentation touristique dans les sites réputés sensibles. « Son effet a été immédiat », témoigne son maire, Robert Siegel. Grâce à une aide conjointe de l’Etat et du Conservatoire des espaces naturels, il a pu réaménager les abords, installer une signalétique décourageante, changer le parcours des professionnels du canyoning et engager une campagne de déréférencement sur les réseaux. « Tous les auteurs de photos du site ont été priés de les retirer », ajoute l’élu.
« Décisions radicales »
Depuis, trois autres collectivités ont pris un arrêté similaire, comme la commune de Meyrargues (Bouches-du-Rhône), au pied de la montagne Sainte-Victoire, où plusieurs secteurs d’escalade et un sentier y conduisant ont été fermés. « Ces décisions radicales vont se multiplier », prédit Soline Archambault, la directrice du Réseau des grands sites de France, qui vient de tenir un séminaire sur « la gestion durable de la fréquentation dans les territoires patrimoniaux ». Son association regroupe 51 sites du pays, parmi les plus emblématiques.
« La gestion de leur fréquentation est notre principale préoccupation depuis deux décennies, et elle s’est accélérée avec la crise sanitaire et l’appétence accrue des touristes pour les espaces naturels. Nos sites ont vu croître de 30 % à 50 % le nombre de touristes », poursuit-elle. Parfois jusqu’à l’écoeurement : fin mai, lors du dernier week-end de l’Ascension, les ruelles étroites du mont Saint-Michel ont été noyées sous une marée de 33.000 visiteurs. Une expérience difficile qui n’épargne pas les sites de pleine nature.
A elle seule, la forêt de Fontainebleau, devenue la Mecque de l’escalade, a vu sa fréquentation augmenter d’un quart depuis le Covid, avec 15 millions de visiteurs par an. Le double de la Tour Eiffel…
Sanctuariser les sites les plus fragiles , comme le font déjà les onze parcs nationaux (Pyrénées, Cévennes, Port-Cros, Calanques, Mercantour, etc.), n’est pas la panacée. « Les pics de fréquentation extrêmes sont inévitables sur les vues de cartes postales. On doit travailler dans la durée pour valoriser les alentours, et relâcher la pression sur les spots », explique Olivier Frégeac, maire de Peyrolles-en-Provence (Bouches-du-Rhône) et président du grand site Concors à la Sainte-Victoire. Sur ce site, plusieurs belvédères ont, par exemple, été aménagés dans les environs pour créer un catalogue de lieux alternatifs offrant des vues époustouflantes sur la montagne de Cézanne.
Promouvoir des destinations
La même stratégie a été adoptée, dans les Pyrénées-Orientales, par le syndicat mixte Canigò Grand Site, lauréat du dernier trophée de l’Association des acteurs du tourisme durable (ATD) pour sa gestion des flux touristiques. Douze années lui ont été nécessaires pour réguler la fréquentation touristique qui se focalisait sur le sommet. L’accès motorisé y a été réglementé, des parkings éloignés ont été créés, ainsi que plusieurs balcons dotés d’aires de pique-nique et un réseau de 750 km d’itinéraires pédestres traversant le coeur des vallées.
« Le pic lui-même n’est plus la seule destination. Nous nous sommes servi du paysage pour mettre en récit le territoire, en valorisant des points de vue différents sur le Canigou et en le rapprochant du patrimoine, de l’histoire et des savoir-faire locaux », relate Florian Chardon, directeur du syndicat mixte à l’origine de cette initiative, qui rassemble 79 communes, leurs offices de tourisme, le département et la région. Résultat : la fréquentation du pic s’est stabilisée autour de 30.000 personnes par an, dix fois moins qu’auparavant.
Opportunités pour les startupeurs
Pour gérer les flux, les technologies se sont invitées dans le débat, procurant de nouvelles opportunités pour les startupeurs. A la tête de CitiProfile, Arnaud Trousset est de ceux-là. « Compter est un préalable pour élaborer des politiques publiques. Notre intelligence artificielle analyse les gens en mouvement, à partir de multiples données mobiles, pour permettre aux décideurs d’affiner leur stratégie d’accueil touristique », résume-t-il.
Les Îles du Levant, au large d’Hyères (Var), ont ainsi récemment fait appel à ses services, pour comprendre, précisément, d’où venaient les flots de plaisanciers qui envahissent les criques, et quelles étaient leurs intentions, entre mouillage ou descente à terre. Idem dans le parc des Calanques, à Marseille, dont l’autorité envisage de mettre en place un système de location à l’heure de bouées d’amarrage, après avoir limité le nombre de visiteurs pédestres sur le littoral, l’an passé.
« Il faut connaître les flux pour désaturer », approuve François de Canson, président du Comité régional de tourisme Provence-Alpes-Côte d’Azur. Depuis 2019, il est associé au géant numérique Waze, pour mieux répartir les flux estivaux. L’application propose aux automobilistes des plans B contre les pics de fréquentation. L’été passé, ce dispositif a touché 325.000 conducteurs et influencé 28.000 navigations, orientées vers d’autres circuits.
Paul Molga (Correspondant à Marseille)